Kaoutar Harchi, l’ampleur du saccage, chez Actes Sud
« Un bloc rouge et glacé ».
Ce « roman » a la noirceur et la concision des tragédies, avec des actions atroces, fantasmées, revécues par le souvenir ou les récits comme des cauchemars.
« Riddha exhume des histoires que je croyais à jamais enfouies, tues »
Car l’ombre d’Œdipe et des récits shakespeariens plane sur cette narration contemporaine entre France et Algérie, sous le signe de formules en échos à la première et à la dernière page :
« Avec la fin de mes hallucinations viennent les bruits de la ville » vs « Avec le début de mes hallucinations, me reviennent des histoires ».
La Méditerranée fait passer d’un espace clos à un autre, d’une prison à un asile, itinéraire sanglant jalonné par des abominations morales, relatées avec une brutale sobriété.
Les différents intervenants, liés par des secrets familiaux, ont chacun leur rôle, leurs interrogations et leurs doutes, leurs culpabilités et leurs remords. Au nombre de 4 essentiellement, ils se succèdent sur la scène, laissant parfois la parole à un narrateur externe ou à un « choeur ».
Cette fragmentation du discours permet aux différentes consciences de composer un cauchemar collectif qui se poursuit d’une génération à l’autre. Sous le poids des révélations, les raisons chavirent, les actions deviennent irrévocables.
Le plus jeune des protagonistes s’exprime comme un moderne Hamlet :
« Mon nom est Arezki et, d’ordinaire, on ne m’appelle pas. J’ai trente ans et vis au sommet d’une tour claire noyée dans le ciel. J’ai cessé de fréquenter les cages d’escalier aux odeurs d’urines tenaces, désormais je reste posté à la fenêtre de ma chambre mais partout mon air est irrespirable, je suffoque. La tête penchée dans le vide, les yeux fermés, je tente de comprendre le pourquoi d’une existence dénuée de sens, sans plaisir, menée à huis clos comme si le monde autour de moi avait disparu. Ma mère la première. Figure inconnue qui me hante, je l’imagine et me demande ce qui en moi vient d’elle ; je demeure sans réponse, abruti par la cruauté des énigmes et l’entêtement de Si Larbi à se taire. Avec le temps, j’ai fini par accepter son comportement. »
C’est le tout début d’un chemin de croix sans rédemption ; je suis sûr que le lecteur sera fasciné par ce condensé (118 p.) du Mal Tragique.