De Mark Twain (1835 – 1910), écrivain américain, on connaît surtout Les aventures de Tom Sawyer (« un roman pour enfants pour adultes » disait-il) et Le Prince et le Pauvre. On le compare souvent à Dickens ou à Stevenson. Mais, à mon avis, son réalisme mêlé d'humour ainsi que sa satire parfois mordante de la société américaine le distingue assez nettement de ces deux écrivains.
J'ai choisi de vous parler d'une œuvre que j'ai découverte récemment : 3000 ans chez les microbes. C'est son titre qui m'a attirée autant que son auteur dont j'ai toujours apprécié la verve. Ce livre posthume aurait été écrit en 1905 et laissé inachevé par son auteur. Il fut publié pour la première fois dans son intégralité en américain en 1980 puis traduit en français en 1985 et publié par les éditions de La Différence.
Dans ce court roman, qu'on considère parfois comme une longue nouvelle, un biologiste américain se retrouve transformé en vibrion cholérique à la suite d'une erreur d'un magicien qui voulait en faire un oiseau ! Le microbe s'exprime à la première personne et est donc le narrateur ; il fait le récit de ce qu'il vit au sein de sa planète, i.e. le corps d'un vieux vagabond repoussant, ivrogne, nommé Blitzowski ; il apprend à connaître les autres habitants, des microbes qui constituent une multitude de sociétés différentes, plus ou moins évoluées.
Le vibrion porte lui aussi un nom : en « microbique », il s'appelle B.b. bkshp ; son récit couvre 3000 ans de sa vie, qui équivalent à 20 jours et demi du temps des hommes, avec un ajout de notes écrites 7000 ans plus tard !
Mark Twain s'amuse à parodier avec humour, à travers son personnage de microbe prétentieux et bavard, toutes sortes de discours, par exemple un dialogue platonicien ou un discours politique ou un traité de théologie…
D'emblée, le texte est déconcertant, on cherche en vain des repères spatiaux et temporels, ce qui s'explique puisque le temps des microbes n'est pas celui des humains ! En outre, le narrateur perd peu à peu ses souvenirs d'humain, il en est conscient et s'en désole, d'où une réflexion sous-jacente sur la mémoire et son altération possible. La distorsion du temps permet aussi à Twain de suggérer une réflexion sur la place de l'humanité dans l'univers, en adoptant un mode satirique pas toujours facile à appréhender.
Tout le début fait penser à une suite de digressions qui n'en finissent pas puis on a le sentiment que le récit se stabilise mais alors il s'interrompt brutalement !
Bien sûr, il faut avoir en tête qu'il s'agit d'une œuvre inachevée mais je crois tout de même que, fondamentalement, l'auteur avait en tête de déstabiliser son lecteur pour mieux conduire sa satire d'une société bien réelle, celle de l'Amérique de son temps ; le ton est caustique, le style éblouissant, on est souvent en plein humour noir. Peut-on ranger cette œuvre dans la catégorie de la science-fiction ? Peut-être !
A lire comme une curiosité !
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"Ne te courbe que pour aimer." René Char