LIVRE LU : NOCES DE NEIGERESUME2012. Irina est une jolie russe de vingt-six ans. Elle a connu les affres de la pauvreté et de la violence. Son dernier compagnon la cognait dur. Elle s'est réfugiée chez sa « presque sœur » comme elle l'appelle, Oksana. Oksana est une de ces arnaqueuses du net. Elle s'inscrit sur les sites de rencontres où les occidentaux fourmillent, cherchent et espèrent le grand amour. Oksana accroche les « pigeons », leur extorque de l'argent sous différents prétextes et puis disparaît pour réapparaitre ailleurs sous une nouvelle identité. Irina s'inscrit à son tour sur ce genre de site. Mais elle n'est pas comme sa meilleure amie. Elle est sincère et cherche vraiment le grand amour. Elle croit l'y trouver. Il s'appelle Enzo et vit à Nice, en France. Pour ne pas trop inquiéter son « amoureux » elle a un peu menti. Elle n'a jamais travaillé au grand café Pouchkine, elle n'est pas réellement celle qu'elle à décrit lors des nombreux courriers échangés avec Enzo. Mais l'homme semble animé de pures intentions, il l'invite à passer un mois avec lui, tout frais payés pour faire connaissance et voir si ça peut coller entre eux. C'est pourquoi Irina se trouve dans ce train qui relit Moscou à Nice en passant par l'Autriche et l'Italie. Un voyage de deux jours qui va s'avérer crucial pour elle. Deux jours seule, deux jours à réfléchir sur son avenir, sur son attitude avec Enzo. Et ces questions comme des antiennes : Est-il le bon ? Est-il l'homme de sa vie ? Peut-on trouver l'amour, le vrai dans le monde virtuel ?
Elle ne sait pas que la vie, si facétieuse et imprévisible a prévu autre chose pour elle. Alors que le train glisse et s'insinue entre les contreforts des alpes, des destins vont vivre des changements surprenants.
131 ans auparavant, la jeune Anna Alexandrovna se trouve elle aussi dans un train. Elle est l'héritière d'une grande famille aristocrate russe, cousine du tsar. Sa famille vient de quitter Nice où elle a passé l'hiver dans son hôtel particulier et rejoint ses quartiers d'été au pays. Quatre jours interminables de voyage, Paris, Berlin, la Pologne, Minsk, un périple éreintant, même en classe supérieure. Anna est amoureuse, Anna est une cavalière émérite qui brille dès qu'elle se trouve sur une selle. Mais Anna porte une croix, lourde et permanente, cruelle et maudite, Anna est laide à en faire détourner les regards. Pas difforme ou atteinte d'une quelconque horreur, non, elle affiche juste un teint sombre, des yeux en amande et un visage disgracieux et asymétrique. Elle est grande et forte, elle est enfermée dans un corps trop imposant pour elle.
Dans ce train qui la ramène enfin chez elle, dans cette parenthèse temporelle de quatre jours, son esprit va trouver le temps nécessaire pour faire le point. Elle va qui ne supporte pas son image dans le miroir va se regarder en face, se sonder et contempler sa vie et son âme. Et puis ce secret qu'elle a percé par hasard en écoutant derrière une porte, cette terrible nouvelle qu'elle aurait préféré ne jamais entendre, cette phrase qui fait saigner son cœur et vaciller sa vie. L'amertume et la jalousie consument sa tête si affreuse, elle qui n'est entourée que de belles personnes. Si sont visage est repoussant, ses yeux fonctionnent à merveille et elle ne peut pas ne pas voir les regards qui se posent sur elle … et qui fuient …
Dans ce train qui file dans la triste et lugubre campagne polonaise, sur ces terres affligées par cette fin d'hiver qui ne veut pas relâcher ses serres, la grande histoire va parler et d'autres destins vont basculer, à jamais.
Mais quel est le rapport entre Irina, Enzo et Anna ? La surprise est de taille.
IMPRESSIONSRemarquablement construit, ce court roman nous embarque dans la vie de deux jeunes femmes russes à un siècle de distance (1881 et 2012). Elles ne se rencontreront jamais et pourtant leurs deux histoires s’imbriquent.
Deux styles d’écriture nous font passer aisément de l’une à l’autre. Et pourtant, une même pudeur des sentiments, une narration délicate et poétique, bien que rythmée différemment selon les deux héroïnes, une observation subtile des personnages et de l’environnement rendent intemporels le désir, la quête de l’amour, l’ambition, le besoin de reconnaissance, la recherche d’identité et toute l’imprévisibilité de nos vies.
Gaëlle Josse nous conte une belle histoire, nerveuse et surprenante et qui est toutefois matinée de mélancolie. Elle nous offre un ton d'écriture très agréable qui nous fait lire ce roman d'une seule traite. Avec cette histoire vous ne ferez pas d'arrêt en gare, vous irez au terminus sans voir passer le temps.
Extrait d'interview : Les goûts littéraires de Gaëlle JosseEn tant que lectrice, quels sont vos registres littéraires de prédilection ?
Avant d'être un auteur, je suis d'abord une lectrice, et ça je le resterai ! C'est vrai, je lis beaucoup. Littérature française et étrangère, et je ne recherche pas particulièrement les nouveautés. Je m'aperçois que les univers, les contextes, les histoires en elles-mêmes m'importent assez peu, je suis surtout sensible à l'intensité d'une narration, à celle des personnages qui font faire écho à ma propre humanité, à mes questionnements ou mes choix, et bien sûr à une écriture dont j'attends aussi une vraie force évocatrice, une musique qui va me toucher, me surprendre, qu'elle soit baroque ou minimaliste.
Je voue une admiration sans borne à des
Stefan Zweig, Sandor Marai, qui savent croiser l'art de la fresque avec la profondeur du portrait psychologique, à des
Pierre Michon ou Pascal Quignard pour la beauté de leur prose et la puissance de leurs récits. J'ai été bouleversée, récemment, par
La nuit tombée, d'Antoire Choplin, une centaine de pages d'une humanité impressionnante, ou par le très court
Home de Toni Morisson, terrible. J'aime aussi les univers multiples, complexes d'auteurs américains comme
Louise Erdrich, Barbara Kingsolver, ou au contraire les récits très tendus, très brefs,
d'Erri de Luca. Dans cette rentrée littéraire, c'est le très beau, très grave
Tristesse de la terre, d'Éric Vuillard qui m'a particulièrement émue. Et depuis l'adolescence, la lecture de
Duras et Modiano, pour leur voix unique, leur musique si particulière, qui m'accompagne toujours...