La Retirada et la Nueve

A l'intention de BRIe, Sapho et les Clefs intéressées, un fil ouvert sur une période de notre Histoire, parfois méconnue et au moins en partie occultée, que j'ai commencé à aborder hier dans le « Général ».
Ma réflexion est née à la suite d'une sortie récente à Port-Vendres où étaient présentés une expo et un film. Pour ma part, je connais cette tranche d'Histoire depuis un certain temps mais elle continue de vivement m'intéresser et j'en apprends toujours un peu plus.


L'exposition très documentée portait sur sur la Retirada, l'exil de 535000 réfugiés venus d'Espagne qui ont franchi les Pyrénées par un temps aussi glacial qu'en ce moment en février 39 pour se retrouver parqués dans des camps de concentration sur les plages d'Argelès, de St Cyprien et du Barcarès, sans aucune installation d'aucune sorte pendant plusieurs jours, voire semaines... Terrible... Images insoutenables de femmes, d'enfants, de vieillards et d'hommes, parfois blessés, franchissant la montagne enneigée et cheminant à pied sur les routes des Pyrénées Orientales.

Ensuite était projeté un très beau film, poignant lui aussi et instructif, racontant l'engagement volontaire dans les troupes françaises et les mouvements de résistance d'un nombre impressionnant d'hommes qui avaient fait partie de ces réfugiés, après avoir combattu dans leur pays dans les rangs républicains.
Il était question en particulier de la Nueve, 9e compagnie espagnole de la 2e DB conduite par Leclerc ; après de multiples actions d'éclat, ce sont eux qui sont entrés les premiers dans Paris le 24 août 1944 ; lors du défilé de la Victoire sur les Champs-Elysées, ils étaient en tête avec leurs chars qui portaient les noms de batailles de la guerre d'Espagne, et ce n'était que justice.
Ce qui n'empêcha pas, hélas, les Français d'occulter leur action durant des décennies (cf. un discours de de Gaulle lui-même !) jusqu'à il y a peu. Il ne reste plus à ce jour qu'un seul survivant mais le film a donné la parole à plusieurs de ces héros longtemps restés silencieux et qui parlaient pour la première fois, avec une dignité exemplaire, une fierté poignante. D'où le titre du film (tourné en 2009 par un Argentin, Alberto Marquardt) : La Nueve ou les oubliés de la victoire. Il y eut un échange avec le réalisateur présent. A la fin, j'ai parlé avec la descendante d'un de ces hommes, à jamais marquée par ce moment de l'Histoire.

A propos des raisons pour lesquelles cette histoire fut occultée, problème soulevé par Sapho :


C'est hélas facile à expliquer. On occulte facilement ce qui dérange. En l'occurrence, il faut se rappeler que le gouvernement en place en 38-39 a largement sous-estimé la situation et surtout a fait de mauvais choix en espérant éviter la guerre. « Ils devaient choisir entre le déshonneur et la guerre. Ils ont choisi le déshonneur, et ils auront la guerre » a dit Churchill en novembre 38. La non-intervention choisie par la France et d'autres pays d'Europe a été tragique. Après la bataille de l'Ebre, l'exode du peuple espagnol s'est accéléré et la France a préféré attendre sans rien faire, surtout sans rien préparer pour l'accueillir. Ensuite, il était bien tard : 550000 réfugiés en quelques jours dans un département qui compte 240000 habitants... On imagine…

Sur la Nueve, des précisions intéressantes, je crois :

Elle est entrée la première à Paris et, avec d'autres étrangers (des Polonais par exemple, des Grecs, des Américains et même des Allemands…) elle a pris une part active à la libération de la France, nouvelle occasion pour nous Français d'aujourd'hui de nous sentir pas très à l'aise.
Ces hommes étaient tous des volontaires. En ce qui concerne les Espagnols, ils avaient été des défenseurs de la République dans leur pays, ils ont proposé leurs services à la France (qui les avait pourtant bien mal accueillis sur son sol) par idéal et pour lutter contre le fascisme. Dans un premier temps, on leur a refusé l'intégration dans l'armée française ! On se méfiait. Pour beaucoup de Français (militaires ou non), c'étaient des « rouges » sanguinaires ! La plupart de ces républicains espagnols sont entrés dans la Légion. Mais quand ensuite Leclerc a voulu constituer la 2^e DB, il a cherché des combattants aguerris, et il les a tout de suite repérés.
Sur 160 soldats, 146 étaient des républicains espagnols, souvent anarchistes, antimilitaristes, et ils se battaient pour la liberté. Leur commandement fut confié au capitaine Dronne dont la jeep portait « Mort aux cons » (!) tandis que les chars des soldats espagnols portaient les noms de Guadalajara, Teruel, Guernica… Le 24 août, ils ont pénétré les premiers sur la Place de l'Hôtel de Ville à Paris mais l'histoire officielle changera leurs noms en Romilly, Champaubert et Montmirail ! Le premier soldat « français » photographié avec le Préfet de la Seine (photo parue dans le journal Libération ) s'appelait Amado Granell !
Le 26 août la Nueve constituait la garde d'honneur du soldat inconnu devant l'Arc de Triomphe pour l'arrivée du Général de Gaulle. Les soldats de la Nueve sont ensuite partis libérer l'Alsace, les Vosges, Colmar… et sont même allés jusqu'à Berchtesgaden, le nid d'aigle d'Hitler ; sur 160, ils n'étaient plus que 16.
L'Histoire les chassa de sa mémoire… Il fallait construire une épopée bien française de la Libération, sans étrangers. Le 25 août 1944, le Général de Gaulle s’adresse aux Parisiens depuis l’Hôtel-de-Ville : "Paris, Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France". Voilà comment on réécrit l'Histoire à des fins politiques. Il fallait, dès ce moment-là, reconstruire une France unie, ce choix très politique de de Gaulle en dit long… Peut-être a-t-il pesé le pour et le contre, on ose l'espérer, toujours est-il que l'urgence qui lui est apparu prioritaire fut de présenter ainsi les événements.
Ajoutons que l'ensemble des républicains espagnols (plus de 4000 ont participé au soulèvement de Paris) avaient toujours pensé qu'une fois libre, la France les aiderait à chasser Franco, elle le leur avait promis. On connaît la suite...

Merci chère Nic de nous éclairer un peu plus concernant ce chapitre d'histoire. Il est bon de nous rappeler en effet ces faits. Faits,  fort édifiants par certains côtés ! Je pense  à ces réfugiés, venus d'Espagne et comme accueil, qui furent parqués comme des bêtes. Je pense à leur longue marche à travers la montagne dans le froid glacial de février.  Je pense qu'à l'époque, comme cela a toujours été, tout le monde n'était pas logé à la même enseigne ! Je pense, ne pas oublier, cesser d'occulter systématiquement ces parcelles de notre histoire et transmettre le message aux jeunes c'est le moins que l'on puisse faire aujourd'hui.

Merci beaucoup ma NIC pour toutes ces explications complémentaires !




Partis d'Espagne pour fuir le régime franquiste, mal accueillis en France, fatigués, épuisés, affamés....les espagnols proposent de servir leur pays d'accueil et de combattre aux côtés des français pour la liberté !!!
Ils ont été vaillants et bien mal récompensés !
Que sont devenus les femmes et les enfants parqués à la frontière?

Sapho a écrit:

Que sont devenus les femmes et les enfants parqués à la frontière?

Dans trop de cas, on a séparé les familles, les hommes d'un côté, les femmes et les enfants de l'autre, leur infligeant un désespoir supplémentaire.
On raconte que dans le camp d'Argelès, au début n'étaient admis que des hommes et que des femmes se sont déguisées en hommes pour éviter la séparation. Même dans ce camp terrible où il n'y avait rien que des barbelés autour d'un morceau de plage nu, il y a eu, on le voit sur les photos, des familles entières, avec vieillards, enfants et bébés.
Les familles séparées ont parfois mis des années avant de se retrouver quand elles se sont retrouvées.
Des femmes enceintes ont été sorties et secourues grâce au dévouement sans bornes et à l'intelligence d'une instutrice... suisse (!) de 24 ans qui réussit à ouvrir une première maternité à Brouilla, laquelle fut ensuite transférée à Elne. Plus tard ce sont des juives et des tziganes persécutées qui vinrent y mettre au monde leurs enfants. Là encore toute une histoire quelque peu "arrangée" de nos jours pour mettre en valeur l'aide des Français qui certes ne fut pas nulle mais minime par rapport à celle de la Croix Rouge suisse et de réfugiées espagnoles et de différentes nationalités elles-mêmes.
Parfois aussi, toujours en 39, des hommes se sont exilés, laissant leur famille derrière eux en Espagne. Certains n'ont jamais revu les leurs ou alors 30 ou 40 ans plus tard.

C'est déchirant de lire cette histoire trop méconnue. Mais je suis heureuse d'en savoir un peu plus.
J'en parlerai avec Mr BRIe

Merci, Sapho, pour cette contribution. J'ai reconnu nombre de photos bien connues désormais.
Dans mon roman, Les Dames de Paulilles, j'ai intégré ce fait historique de la Retirada car les réfugiés sont passés sur la route au-dessus de Paulilles en direction d'Argelès, certains hommes sont venus travailler sur le site et on dit qu'ils ont pris des risques avec des sabotages (l'usine a été occupée par les Allemands à partir de 1940)... J'ai imaginé des personnages de fiction mais en respectant la réalité historique, comme par exemple un ouvrier agricole qui travaile à Cosprons dans les vignes et dont la femme accouche à Brouilla...

Je lirais ce que tu viens d'écrire Nic. un peu plus tard, là j'ai la répét !
Mais hier il y avait Thérèse Cau ("L'Album de d'Exil" chez Cap Béar, je n'ai pas encore lu son livre) à la soirée poésie, on a parlé un peu toutes les 2. Je crois qu'elle a plus ou moins participé à l'expo) Elle me disait que des élèves de 3ème étaient venus voir l'expo et que ce qui  avaient le plus choqué certains, c'était que les réfugiés n'avaient ni la télé ni téléphone GSM !!!

70 ans, ce n'est pas si loin ! émouvant diaporama

BRIe a écrit:

70 ans, ce n'est pas si loin ! émouvant diaporama

Non, c'est même tout proche, en particulier pour les descendants de ces réfugiés. J'ai rencontré une dame qui, les larmes aux yeux, m'a raconté que sa mère était resté quinze ans sans revoir son mari ; en France, elle élevait tant bien que mal ses deux fils ; mon interlocutrice a ajouté : "Et moi, je suis l'enfant des retrouvailles...".
Son père n'a rien voulu raconter de ce qu'il avait vécu. Après sa mort, sa fille s'est fait un devoir de raconter ce qui s'était passé, de faire revivre la mémoire de son père et de ses compagnons d'infortune.

Suzanne a écrit:

Je lirais ce que tu viens d'écrire Nic. un peu plus tard, là j'ai la répét !
Mais hier il y avait Thérèse Cau ("L'Album de d'Exil" chez Cap Béar, je n'ai pas encore lu son livre) à la soirée poésie, on a parlé un peu toutes les 2. Je crois qu'elle a plus ou moins participé à l'expo) Elle me disait que des élèves de 3ème étaient venus voir l'expo et que ce qui  avaient le plus choqué certains, c'était que les réfugiés n'avaient ni la télé ni téléphone GSM !!!

Oui, elle était présente à l'expo, organisée par une association dont elle fait partie, elle dédicaçait son livre que je suis en train de lire ; je te le prêterai si tu veux, il est très intéressant car il montre la guerre d'Espagne à travers la grande Histoire et la petite (celle de ses parents) mais surtout adopte le point de vue de la Catalogne et de la Generalitat, ce qui renouvelle l'approche de la question. Elle était aussi présente à la projection du film.
J'aurais bien voulu aller à la soirée "Poésie" mais on ne peut pas aller partout, hélas !

Merci Nicole et merci Sapho
Avant de venir à Perpignan, je n'avais jamais entendu parlé de la "Retirade". Depuis bien sûr j'ai lu quelques romans qui en parle plus ou moins "les Dames de Paulilles" de Nicole Yrle, "un itinéraire de femmes" de Marie-Caire Baco Baesa, "Sebastian" de Guy Pernet la fête de l'ours euh j'ai oublié le nom de l'auteur, Nic Vu des expo lu des articles c'est vraiment honteux la façon dont la France a traité ces personnes.

La fête de l'ours, c'est un livre de Jordi Soler - écrivain mexicain d'origine catalane - 3e volet d'une trilogie initiée avec Les exilés de la mémoire et La dernière heure du dernier jour, tous les trois d'inspiration autobiographique.
Je crois que la Retirada commence à être un peu connue ; en revanche ce qui est relaté dans le film La Nueve l'est encore trop peu.
Le début de ce film peut être vu ICI

C'est vrai qu'il a l'air très intéressant ce film, Nic j'ai été frustrée quand l'extrait c'est arrêté !

http://vimeo.com/16471657

Celui-ci dure 52 mn, je ne l'ai pas encore regardé, mais il commence comme l'extrait que tu as mis, Nic.

Voila je l'ai vu en entier, c'est sûr c'est une copie d'un film télé dans une mauvaise résolution.
Mais ça vaut tout de même le coup de la regarder.
Merci encore Nic de nous avoir parlé de ce film.
Je suis scandalisée !

Je regardera avec attention le film.
Je cherche dans ma mémoire de petite fille, suis née en 1960, en Bougogne, et je n'ai pas entendu parler à l'époqe de ces faits. Pas connu non plus d'enfants espagnols.
(les premières personnes que j'ai connu en 1965, à Sète, étaient des Pieds Noirs, c'est vous dire !)

Oui, Suzanne, il semble que ce soit le film dont je parle, peut-être intégral, il m'a paru être un peu plus long...
Voici le tableau de Picasso (visible au musée de Madrid) peint en hommage à ces hommes en 1946 et intitulé : "Monument des Républicains espagnols morts pour la France"

BRIe ! C'est pour ça que tu es bougon ?


Merci Nic, je ne connaissais pas

Merci chères Nic et Suzanne pour  toutes ces informations fort  passionnantes. 

(juste dire en aparté que j'ai un clavier avec de grosses touches sur les genoux, que je me suis rapprochée du grand écran, que je suis en équilibre... et que c'est pas mieux pour écrire)
(tout çà pour vous dire que ce sont des fautes de frappe, plus haut )

Je reviens au sujet : il faut que je visionne le film. Peinture aux couleurs froides, avec cependant ce rouge sang.
Un tableau tragique.
Merci Nic pour l'illustration

merci ma Nic et ma Suzanne, c'est vraiment très intéressant, je n'avais pas eu le temps de tout lire.

Oh je pense que le film est en entier, sinon ils auraient taillé la scène de la fin dans la maison de retraite.
En tout cas malgré la qualité de l'image, je suis contente de l'avoir vu, j'y ai appris beaucoup de choses.
Je suppose que ce film est passé sur France 3 j'espère qu'ils le repasseront un jour ou l'autre.
Je regrette aussi de ne pas avoir vu l'expo à Port-Vendres, mais elle se terminait dimanche et on était un peu sous tension, jusque là.
Est-ce qu'elle était un peu comme celle d'Argelès quand on est allé voir la présentation du livre de Guy Pernet, Nic (toi qui a vu les 2) ?