Touchant uniformément les hommes et les animaux, la maladie du sommeil s’apparente plus au cauchemar qu’au rêve. Létale en l’absence de traitement, elle est véhiculée par la mouche dite « tsé-tsé », laquelle transmet par une piqûre le parasite à l’origine de ce fléau, le Trypanosoma brucei. Ce dernier envahit alors le sang, puis le système nerveux de l’hôte. Apparaissent alors chez la personne contaminée des troubles sensoriels, moteurs, psychiques et neurologiques qui conduisent au coma, puis à la mort si aucune médication n’est administrée pour contrer la progression de la maladie.
Maîtrisée dans les années 1960, la maladie est en recrudescence depuis environ 15 ans. L’OMS (1) estime à 300 000 le nombre de nouveaux cas humains recensés chaque année à travers le monde. Or, à l’heure actuelle, les rares traitements disponibles sont hautement toxiques et, selon l’IRD (2), « Aucun espoir de vaccin n’existe à moyen terme ».
Toutefois, l’accroissement démographique, le développement économique et les changements climatiques qui ont marqué l’Afrique de l’Ouest depuis un siècle n’ont pas été sans incidence sur les populations de mouches tsé-tsé. En effet, le cumul de ces trois facteurs a entraîné la diminution du nombre de mouches, de même qu’un rétrécissement de leur aire d’extension géographique. Désertant leur habitat naturel qu’est la savane, largement affectée par la destruction de son couvert végétal et la disparition de la faune sauvage, celles-ci ont migré plus au Sud, vers les zones de forêts et de mangroves.
Mais il n’y a pourtant pas motif à crier victoire, la mouche tsé-tsé n’ayant pas dit son dernier mot. En effet, si certains groupes tsé-tsé ont plié sous la pression anthropique, d’autres, en revanche, ont parfaitement su s’acclimater, notamment en développant de remarquables capacités d’adaptation aux conditions de vie urbaines. Or, celles qui sont les plus malléables sont également les plus redoutables. Considérées comme les plus dangereuses, les mouches du groupe palpalis sont ainsi apparues en masse dans de grandes villes d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, telles que Kinshasa en République démocratique du Congo, Abidjan en Côte d’Ivoire et Dakar au Sénégal. Aussi, la réduction de leur aire de répartition se trouve-t-elle largement compensée par le potentiel endémique de leur nouveau site d’élection, à savoir les centres urbains.
Pour accentuer encore un peu plus ce sombre tableau, les récents conflits survenus au Libéria, en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire, en favorisant des déplacements massifs de population, s’avèrent particulièrement propices à la propagation de la maladie du sommeil. N’ayant jamais été en contact avec le vecteur de la maladie, les populations gagnant des zones réputées comme endémiques sont particulièrement vulnérables et exposées. En outre, l’instabilité politique régnante empêche la mise en place de plans d’intervention médicale et de lutte adéquats. Alors que les densités humaines ont été multipliées par quatre en l’espace de 50 ans en Afrique de l’Ouest, la maladie du sommeil semble avoir encore de beaux jours devant elle.
Cécile Cassier
1- Organisation Mondiale de la Santé
2- Institut de Recherche pour le Développement