Sorj CHALANDON

Je viens de terminer Enfant de salaud, encore une fois un roman magistral. L'idée de génie est d'avoir, par le biais de la fiction, transposé en 87, au moment du procès de Klaus Barbie - qu’il a effectivement couvert comme journaliste, son père présent dans la salle , la découverte du dossier judiciaire de ce père, alors qu’en réalité il ne l’a eu entre les mains que 6 ans après sa mort en hôpital psychiatrique. Ce collabo qui a changé d’uniforme 5 fois en 4 ans, a été, déjà pendant la guerre, un génie du mensonge en même temps qu’un pantin incapable de trouver sa voie d’homme.

Ysou, je me suis mal fait comprendre. Mais déjà, je te rappelle qu’en France on est en 44, sous le régime de Pétain et que, entre autres, le STO concernait tous les hommes jusqu’au fin fond des campagnes, dans tous les villages, même petits. On était tout à fait informé de cela. Mic avait un oncle qui vivait en Haute Garonne dans un petit village et qui a voulu rejoindre la maquis pour échapper au STO, il n’est pas allé loin, il a été arrêté presque tout de suite et envoyé à Dachau où il est mort à 23 ans. Tu dis toi-même que ta famille vivait dans un minuscule village pourtant occupé par les Allemands. La propagande allait partout, dans les coins les plus reculés, mais des informations arrivaient par d’autres canaux. Quand je préparais Lignes de Crêtes, j’ai consulté des journaux de l’époque, les uns aux ordres mais d’autres aussi qui ne l’étaient pas ou beaucoup moins.

Par ailleurs, même les plus pauvres, bien qu’ils fussent - tu as raison - surtout préoccupés par leur survie en temps de pénurie, n’ignoraient pas les rafles, les dénonciations et le reste. Je suis née à Lyon, en zone libre jusqu’en 42, année de ma naissance, et chef-lieu régional de la Gestapo (cf. Barbie), et de la Milice française. Mon père, surveillant général dans un lycée de la ville pour les classes préparatoires, devait fournir des listes de professeurs et d’élèves juifs, ou suspects d’une manière ou d’une autre. Il a averti à l’avance les plus exposés et a falsifié les listes qu’il a remises ensuite. D’après lui, tous les établissements scolaires, partout, toutes les administrations étaient soumises aux mêmes exigences ; il m’a aussi dit que la majorité de la population était restée favorable au régime de Vichy, malgré les exactions connues, et peu encline à aider des résistants, pour des raisons qu’on peut comprendre hélas.

Je persiste à penser que, dans le roman de Chalandon, il y a, sous-jacente, cette réflexion qu’il nous invite à mener sur le comportement de certains de ceux qui ont vécu cette période, avec l’idée que faire le mauvais choix, aller du « mauvais côté » comme a dit le grand-père révélant à son petit-fils qu’il était « enfant de salaud », n’a pas été seulement le cas de ce père, pitoyable finalement, parce que jeune, sans éducation, influençable, livré à lui-même, il y en eut d’autres… et, simplement, il faut essayer de « comprendre » (mot qui revieznt comme un leitmotiv, ce qui ne veut pas dire « pardonner », même à un malade mental.

Un livre complexe, en dépit de son apparente facilité parce qu’on le lit aisément, presque d’une seule traite. Je l’ai emprunté à la bibliothèque mais je l’achèterai pour le posséder et le relire…